Written by 15h42 Croquis

Stratégie pluriannuelle cherche débat démocratique

La France est-elle prête à payer la facture de la transition ? La publication discrète, fin octobre 2025, de la seconde SPAFTE (Stratégie Pluriannuelle du Financement de la Transition Écologique) apporte une réponse en demi-teinte. Si 113 milliards d’euros ont été investis pour la décarbonation en 2024, la marche à franchir reste immense : il faut doubler la mise d’ici cinq ans. Ce document crucial met surtout en lumière un paradoxe inquiétant : le secteur public, un important financeur de la transition privée, peine à investir pour se décarboner lui-même. Analyse d’une stratégie qui attend toujours son débat démocratique.

Fin octobre, le gouvernement a publié la deuxième édition de la Stratégie Pluriannuelle du Financement de la Transition Écologique (SPAFTE). Née avec la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, la SPAFTE est un document stratégique, piloté par la Direction Générale du Trésor et la Direction du Budget, qui analyse les besoins d’investissement et les financements nécessaires pour atteindre les objectifs de transition écologique de la France, notamment l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050.

La SPAFTE est complémentaire au Budget Vert, qui évalue l’impact environnemental des seules dépenses de l’État. Elle offre une vision plus large, intégrant les financements publics et privés, et se veut un document d’information pour les parlementaires et le grand public. Autrement dit, elle évalue où nous en sommes dans le financement de la transition écologique, et surtout ce qu’il reste à faire. Ce document, qui a peu d’équivalent dans d’autres pays, en dit long sur l’engagement de l’administration et le progrès en termes de connaissance depuis quelques années, mais il ne peut cacher certaines faiblesses de l’action de la puissance publique en faveur de la transition. Petit tour d’horizon d’un document qui gagnerait à être plus connu, et surtout à nourrir les débats.

Des investissements déjà importants, mais insuffisants

La SPAFTE est avant tout un outil de quantification. Dans ce cadre, sa première mission est d’établir un point de référence sur les investissements en faveur de la transition.

La SPAFTE dresse un premier bilan ambivalent des investissements bas-carbone jusqu’à 2024. D’un côté, le niveau d’investissement bas-carbone a quasiment doublé depuis 2011, pour atteindre 113 Md€ en 2024 (voir Graphique 1). C’est la preuve du chemin parcouru depuis plus de 10 ans. De l’autre, après une augmentation quasi-continue depuis plusieurs années, les investissements ont décru par rapport à 2023 (113 Md€ contre 116Md€). Cette stagnation est en grande partie expliquée par la baisse des investissements privés dans la rénovation des bâtiments et les postes énergétiques de la construction de bâtiments neufs depuis 2022. On pourrait donc relier cette moins bonne dynamique avec la baisse générale de l’investissement dans la construction neuve, mais aussi aux hésitations autour du dispositif de Ma Prime Rénov’, qui a été mis en pause temporairement à l’été après plusieurs réformes depuis 2023, et qui devrait revenir en 2026 mais avec des conditions d’accès durcies.

Graphique 1 – Les investissements bas-carbone en France

Source : SPAFTE (2025). Données : I4CE (2025). Calculs Trésor à périmètre et méthodologie SPAFTE.

Lecture : En 2011, les investissements bas-carbone atteignaient 63 Md€ en France. En 2024, ils ont atteint 113 Md€.

Malgré la croissance indéniable des investissements bas-carbone, la tendance n’est pas suffisante pour respecter les engagements climatiques européens. Si l’on suit les engagements climatiques européens (Fit for 55) et nationaux (Stratégie Nationale Bas-Carbone) pour 2030, il faut doubler le volume d’investissements bas-carbone en l’espace de cinq ans. Pour les investissements bas-carbone utiles pour la transition et dont il est possible d’estimer les besoins pour 2030, il faudra passer de 79 Md€ d’investissements en 2024 à 161 Md€ en 2030 (voir Graphique 1). Les besoins les plus massifs sont dans le transport (+39 Md€/an). Il s’agit de remplacer des voitures thermiques par des électriques (investissements des ménages/entreprises), mais également de financer la modernisation et la régénération des infrastructures de transport. Ensuite, il y a rénovation des bâtiments (+27 Md€/an), ils concernent principalement l’isolation et les changements de vecteurs de chauffage. Enfin, il y a la production d’énergie bas-carbone, principalement à travers le développement de nouvelles capacités de production (+5Md€/an). Les montants restants concernent la décarbonation de l’industrie, de l’agriculture, la gestion des forêts et le renouvellement forestier.

Une puissance publique à la traîne ?

La progression des investissements bas-carbone depuis 2011 est principalement tirée par les investissements du secteur privé. Les investissements des ménages sont passés de 28 Md€ en 2011 à 48 Md€ en 2024, notamment via la rénovation énergétique des logements et, plus récemment, l’acquisition de véhicules bas-carbone (voir Graphique 2). Les investissements des entreprises sont eux passés sur la même période de 19 Md€ à 47 Md€, principalement via les investissements pour la production d’énergie bas-carbone et le renouvellement de leur flotte de véhicules. La croissance des investissements du secteur public est moins prononcée que pour les entreprises (10 à 17 Md€), mais surtout stagne depuis 2019. Ils concernent majoritairement aujourd’hui le développement des infrastructures et la rénovation des bâtiments publics.

Il y a là une sorte de paradoxe : les acteurs répondant aux signaux politiques et réglementaires de la puissance publique (aides à l’achat de véhicules électriques, incitations à la rénovation, etc.) ont plus augmenté leurs investissements, et sont sur une bien meilleure dynamique, que le secteur public lui-même. Tandis que les entreprises et les ménages sont sur une tendance ces dernières années qui les amèneraient en 2030 près de montants compatibles avec les engagements climatiques de la France, ce n’est pas le cas du secteur public.

Graphique 2 – Les besoins d’investissements bas-carbone du secteur public, des Entreprises et des ménages

Source : SPAFTE (2025). Données : I4CE (2025). Calculs Trésor à périmètre et méthodologie SPAFTE.

Lecture : En 2024, dans le périmètre pour lesquels les besoins d’investissements peuvent être estimés, les investissements bas-carbone du secteur public atteignaient 8 Md€ en France. Ils devront être augmentés de 13 Md€ d’ici 2030.

Ce paradoxe n’est qu’apparent : l’une des grandes qualités de la SPAFTE est de distinguer le porteur du projet de l’investissement de celui qui le finance. La puissance publique ne fait pas que contribuer à sa propre décarbonation, mais soutient également les ménages et les entreprises qui le font. Le Chapitre 3 de la SPAFTE fait une recension presque exhaustive des contributions des différents acteurs publics au financement des investissements bas-carbone. On peut en retenir que l’Etat et ses opérateurs devraient financer en 2025 directement plus de 58 Md€[1] d’investissements pour l’ensemble de la transition écologique, ce qui en fait un accompagnateur plus qu’important.  De leur côté, les collectivités territoriales ont financé environ 9 Md€ d’investissements en 2023.

Reste tout de même une interrogation : pourquoi le public porteur de projet est moins dynamique que le public régulateur et financeur ? Le secteur public devrait être exemplaire dans ses propres domaines. La stagnation des investissements bas-carbone du secteur public et l’importance de son rôle financier dans le privé en parallèle signifient que les freins ne sont peut-être pas seulement financiers, mais résident aussi dans la capacité d’exécution du secteur public. Or, si la SPAFTE analyse bien les barrières aux investissements privés, notamment dans son chapitre 2 qui creuse bien les différentes barrières auxquelles font face les entreprises et les ménages, elle reste souvent moins explicite sur les barrières aux investissements publics qui expliquent cette stagnation.

Un débat manquant

La SPAFTE est un instrument de pilotage précieux, comparable à peu d’autres, mais qui restera sans effet si elle n’est pas débattue.  L’article L. 100-1 A du Code de l’énergie, et plus particulièrement le paragraphe 1 bis, prévoit que « le Gouvernement transmet chaque année au Parlement, avant le début de la session ordinaire, une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale ».  Mais il ajoute aussi qu’elle « peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat ». Force est de constater que ce débat n’a pas eu lieu à ce jour, faute d’intérêt des parlementaires. C’était pourtant l’occasion de faire de la SPAFTE plus qu’un simple inventaire.  

La SPAFTE montre en effet que l’enjeu n’est plus de savoir combien il faut investir mais de déterminer comment lever les barrières à l’exécution (publiques et privées) pour que l’argent se transforme en projets concrets. Or, la stagnation des investissements publics depuis 2019 interroge la capacité du secteur public à investir pour sa propre décarbonation et pose la question des freins non financiers : lourdeur administrative, complexité de la commande publique, manque d’ingénierie technique dans les collectivités, mais aussi, et peut être surtout, désaccord politique sur la bonne stratégie à suivre. L’article L. 100-1 A du Code de l’énergie prévoit aussi depuis 2023 le vote d’une loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC). Cette loi-cadre devait fixer les grandes orientations, leur donner une base légale et encadrer l’action publique en matière d’énergie et de climat. À ce titre, elle aurait constitué l’équivalent, pour la transition écologique, d’une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. En pratique cependant, dans un contexte de division parlementaire, le gouvernement a renoncé à faire voter la LPEC en 2024.

La possibilité de débat offerte par la loi doit être saisie. La SPAFTE lance une alerte : le rythme de progression des investissements bas-carbone est trop lent. Les parlementaires doivent participer à la décarbonation en se saisissant de cet outil, sous peine de porter eux-aussi la responsabilité de nos échecs futurs.

Cyprien Batut

Image: Egon Schiele, Town among the Greenery (The Old City III), 1917, huile sur toile, Neue Galerie New York.

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Note: 

[1] En autorisation d’engagement dans le PLF 2025. Cela inclut également les Certificat d’Economie d’Energie (CEE).

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