Written by 10h10 Croquis

La France est-elle sur la bonne voie ? Une analyse de la soutenabilité de la dette avec le modèle de la Commission.

Validé par la Commission européenne le 25 novembre dernier, le Projet de Plan Budgétaire 2026 de la France propose une trajectoire d’ajustement jugée compatible avec les règles européennes. Les prévisions de croissance de ce plan sont toutefois nettement plus favorables que celles du modèle d’analyse de soutenabilité de la dette (DSA) de la Commission. En effet, alors que le Projet de Plan Budgétaire prévoit que la France sortira de la procédure de déficit excessif en 2029, le modèle DSA repousse cette sortie à 2032. Cependant, si l’approbation de la Commission se justifie par un retour sous les 3 % de déficit à la fin de la période d’ajustement, la situation politique française laisse planer l’incertitude sur le budget qui sera effectivement adopté et rend l’objectif d’ajustement ambitieux.

Le 31 octobre 2025 la France a soumis son Projet de Plan Budgétaire pour l’année 2026 à la Commission européenne. Dans celui-ci, la France propose une trajectoire d’ajustement ainsi que les prévisions de soldes public et structurel associées. Le 25 novembre dernier, la Commission a répondu à ce plan budgétaire, elle estime que les ambitions d’ajustement proposées par la France sont compatibles avec les règles européennes. Nous faisons ci-dessous un point d’étape sur l’application des règles européennes à l’aide des dernières données macroéconomiques disponibles.

Les règles budgétaires européennes et leurs recommandations dans le cas de la France

Les règles budgétaires européennes, connues sous le nom de Pacte de stabilité et de croissance (PSC) ont été récemment réformées (cf. encadré 1) dans l’objectif de les rendre plus applicables et donc plus crédibles. Suite à cette réforme, en 2024, la France a été placée en procédure de déficit excessif, ce qui la contraint à ajuster son solde structurel primaire d’au moins 0,5 % par an jusqu’à ce que son déficit passe en-dessous de la barre symbolique des 3 % de PIB.

Le 17 novembre dernier est parue la mise à jour des données AMECO, la base de données de la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, qui est utilisée pour contrôler l’application des règles. Au regard de celles-ci, il nous a semblé pertinent de comparer différents scénarios d’ajustement à travers le prisme des règles budgétaires européennes. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur la réplication du modèle d’analyse de la soutenabilité de la dette (DSA) par Lennard Welslau.

Encadré 1 : Les règles budgétaires européennes

Selon les nouvelles règles budgétaires de l’UE, les pays suivent une trajectoire des dépenses nettes de quatre ans. Elle peut être prolongée à sept ans s’ils proposent des réformes et investissements qui favorisent la croissance, la soutenabilité budgétaire, ainsi que les priorités de l’UE. La trajectoire doit respecter plusieurs critères :

  1. Sur la base du modèle d’analyse de la soutenabilité de la dette (DSA) de la Commission, la dette publique doit diminuer à la fin de la période d’ajustement dans plusieurs scénarios macroéconomiques et avec une probabilité de 70 % dans une analyse stochastique qui modélise une multiplicité de chocs possibles.
  2. À la fin de la période de l’ajustement, le déficit public doit être inférieur à 3 %.
  3. Si un pays a une dette supérieure à 60 % du PIB ou un déficit supérieur à 3 % du PIB, deux garde-fous (safeguards) s’appliquent en plus :
      • Garde-fou de la dette : Réduction d’au moins un point du ratio de la dette/PIB par an (0,5 point si la dette est entre 60 % et 90 %).
      • Garde-fou du déficit : Amélioration du solde structurel primaire d’au moins 0,25 point de PIB par an (0,4 point de PIB si la période d’ajustement est 4 ans) si le déficit structurel est supérieur à 1,5 %.

La procédure de déficit excessif oblige par ailleurs les pays concernés à ajuster le solde structurel primaire d’au moins 0,5 % par an[1] jusqu’à ce que le déficit soit en dessous de 3 % du PIB.

Tout d’abord, nous avons souhaité comparer l’ajustement structurel primaire prévu par le Projet de Plan Budgétaire 2026 (PPB) avec celui suggéré pour respecter à minima le cadre des règles budgétaires européennes. Nous l’avons fait dans le cadre d’un ajustement ayant démarré en 2024, et par conséquent nous avons considéré l’ajustement effectivement réalisé pour cette année-là, c’est-à-dire une aggravation du solde primaire structurel de 0,2 point[2].

Les règles budgétaires européennes suggèrent un ajustement structurel constant égal à 0,916 sur les six années d’ajustement restantes (cf. graphique 1). Cela est donc cohérent avec ce que propose le PPB :  les deux sources proposent un ajustement équivalent ou égal durant les cinq premières années (2024-2028). Cependant, elles divergent pour les deux dernières : le modèle DSA propose un ajustement de 0,9 % en 2029 et 2030 tandis que le Projet de Plan Budgétaire 2026 propose un ajustement de 0,6 % en 2029[3]. Comment expliquer cette divergence ?

Graphique 1 – Comparaison de l’ajustement structurel primaire prévu par la Projet de Plan Budgétaire 2026 et de l’ajustement structurel primaire conseillé par le modèle DSA.

Source : Projet de Plan Budgétaire 2026, données AMECO. Calcul des auteurs à partir de la réplication du modèle DSA en Python de W. Lennard.

Lecture : En 2026, le Projet de Plan Budgétaire prévoit un ajustement structurel primaire de 1 % tandis que le modèle DSA propose un ajustement structurel primaire de 0,9 %.

Des prévisions de déficit plus favorables dans le cas français, mais un avis de la Commission qui paraît justifié

Pour comprendre cet écart, nous avons comparé les prévisions de déficit faites par le modèle DSA, contraint par les ambitions d’ajustement du Projet de Plan Budgétaire 2026, et celles du PPB (cf. graphique 2).

Cette comparaison des prévisions de déficit nous permet d’expliquer la différence dans les ajustements proposés par le modèle DSA et le Projet de Plan Budgétaire 2026 sur les deux dernières années de la période. En effet, le Graphique 2 nous montre que pour l’ajustement prévu par le Projet de Plan Budgétaire 2026, les prévisions de déficit de ce dernier sont bien plus optimistes que les prévisions du modèle DSA. Selon le Projet de Plan Budgétaire 2026, la trajectoire proposée permet de passer en dessous de la barre symbolique des 3 % de déficit dès 2029, alors que pour la même trajectoire d’ajustement, le modèle DSA prévoit un déficit supérieur à 3 % jusque 2032. Le Projet de Plan Budgétaire 2026 fait donc sortir la France de la procédure de déficit excessif trois ans plus tôt que le modèle DSA pour la même trajectoire d’ajustement. Ceci explique pourquoi le modèle DSA propose un ajustement plus élevé que le Projet de Plan Budgétaire en 2029 et 2030 (0,916 % vs. 0,6 %).

Graphique 2 – Comparaison des prévisions de déficit du Projet de Plan Budgétaire 2026 et du modèle DSA dans le scénario proposé par le PPB 2026.
 

Source : Projet de Plan Budgétaire 2026 (PPB), données AMECO. Calcul des auteurs.

Lecture : En 2026, selon ses estimations, l’ajustement structurel primaire proposé par le Projet de Plan Budgétaire devrait permettre d’atteindre un déficit de 4,7 % contre 5 % selon les estimations du modèle DSA.

Pourquoi les prévisions de déficit du modèle DSA sont-elles moins optimistes que celles du Projet de Plan Budgétaire ? L’explication tient au fait que le modèle DSA applique l’effet d’un multiplicateur budgétaire[4] qui agit négativement sur la croissance du PIB, proportionnellement à l’ajustement budgétaire prévu cette année-là. Par conséquent, les prévisions de croissance du modèle DSA sont bien moins favorables que celles du Projet de Plan Budgétaire. Par exemple, pour l’année 2026, le Projet de Plan Budgétaire prévoit une croissance de 1 % du PIB contre 0,29 % pour le modèle DSA. La trajectoire la plus fiable dépend donc de la nature des prévisions de croissance dans le Projet de Plan Budgétaire 2026 : si elles intègrent déjà les effets des efforts budgétaires à venir, celles-ci sont tout à fait crédibles. On peut toutefois noter qu’elles sont plus favorables que beaucoup d’autres : l’OFCE prévoit par exemple une croissance de 0,7 % en 2026.

Cette différence de prévision a aussi des conséquences sur l’évolution prévue du ratio dette/PIB.  Le modèle DSA prévoit un recul de la dette bien plus rapide pour la trajectoire d’ajustement qu’il propose que pour la trajectoire du PPB (cf. graphique 3). En effet, selon les estimations du modèle, l’ajustement sur 7 ans proposé par la France nous amène à 115,7 % de ratio dette/PIB en 2040, soit un niveau plus élevé qu’en 2024. À l’inverse, l’ajustement proposé par le modèle DSA permettrait d’atteindre un ratio de dette/PIB de 109,2 % en 2040. En effet, le solde primaire structurel français se stabilise à un niveau plus élevé dans le cas de la trajectoire suggérée par le modèle DSA que dans celui de la trajectoire prévue par le PPB (1,655 vs. 0,952), en partie du fait d’un temps plus long passé en procédure de déficit excessif, ce qui entraine une chute plus rapide de l’endettement.

Graphique 3 – Comparaison des prévisions du ratio dette / PIB par le modèle DSA pour les ajustements prévus par le Projet de Plan Budgétaire 2026 et recommandé par le modèle.

Source : Projet de Plan Budgétaire 2026 (PPB), données AMECO. Calcul des auteurs.

Lecture : Le modèle DSA prévoit que la trajectoire d’ajustement proposé par le Projet de Plan Budgétaire 2026, permettra d’atteindre un niveau de dette / PIB de 115,7 % et 2040.

On retient toutefois que même dans le scénario le plus pessimiste, la France devrait repasser en dessous des 3 % de déficit à la fin de la période d’ajustement et que les efforts prévus dans la PPB et le modèle DSA sont équivalent en début de période. Cela justifie l’opinion positive de la Commission européenne sur le plan budgétaire de la France. Cependant, comme il est mentionné dans la note de la Commission, les récents développements politiques en France, laissent planer une forte incertitude quant au contenu et la date d’adoption du budget pour l’année 2026. En 2024 déjà, la France n’était pas parvenue à respecter les objectifs qu’elle s’était fixée et cela s’est répercuté sur la trajectoire d’ajustement proposée dans le Projet de Plan budgétaire 2026. Un ajustement réparti sur sept ans au lieu de six aurait été plus tolérable et un ajustement structurel primaire de 1 % en 2026 est un objectif ambitieux (cf. Graphique 1). Il serait donc pertinent de réévaluer la situation l’année prochaine, à l’aune du budget nouvellement adopté et des prochaines prévisions économiques.

Lison Brochet

Image : Otto Freundlich, Komposition, 1939, tempera sur papier, 193 cm x 146 cm, Musée de Pontoise, Pontoise, France.

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Notes :

[1] Il s’agit d’un niveau plancher, mais celui recommandé par les règles peut être plus haut : il s’agit du niveau d’ajustement annuel permettant de ramener le déficit en dessous de 3 % sur la période d’ajustement.

[2] Le solde structurel primaire se définit par la différence entre les recettes et les dépenses publiques, corrigée des intérêts à payer ainsi que des effets du cycle.

[3] Dans le Graphique 1, nous avons supposé que l’ajustement en 2030 serait également de 0,6 % dans le PPB, suivant le niveau prévu pour 2029.  

[4] Dans le modèle DSA, le multiplicateur budgétaire est de 0,75, c’est-à-dire que l’on estime que l’ajustement engendre une contraction de la croissance de l’ordre 75 % de la différence entre l’effort budgétaire effectué et le scénario de base. De plus cet effet persiste dans le temps : à la période suivant le choc, l’économie se contracte encore de 2/3 du premier effet, puis de 1/3 de cet effet en troisième période. 

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