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Vers un budget juste et écologique : retour sur le colloque du groupe écologiste au Sénat

Le colloque organisé par le groupe écologiste au Sénat le vendredi 3 octobre 2025, intitulé « Soyons réalistes : pour un budget plus juste et écologique », a mis en lumière la nécessité d’articuler redressement budgétaire, transition écologique et justice sociale. Les intervenants de ce colloque ont montré que des marges de manœuvre fiscales existent pour financer la transition sans creuser le déficit, notamment via une fiscalité plus progressive et écologique. Cependant, si un redressement juste et durable apparaît possible, son succès dépendra de l’acceptabilité sociale des réformes proposées.

Le 3 octobre dernier avait lieu un colloque organisé par le groupe écologiste au Sénat, intitulé Soyons réalistes : pour un budget plus juste et écologique.

Les finances publiques sont aujourd’hui au cœur de nombreux débats houleux. Toutefois, un point semble encore faire consensus : la France est à rebours des autres pays européens qui consolident leur déficit, il est donc nécessaire de redresser les comptes publics. Là où les désaccords émergent, c’est lorsque l’on questionne le comment, et c’était justement l’objet de ce colloque.

La transition écologique : grande oubliée des discussions sur le redressement budgétaire

Alors que nombre de cadres politiques interviennent pour promouvoir leur façon d’envisager la trajectoire budgétaire à adopter, aucun d’entre eux n’aborde réellement le sujet de la transition écologique. Anne-Laure Delatte (chercheuse en économie au CNRS) a fait remarquer que presque aucune des productions économiques sur le redressement budgétaire de ces dernières années ne traitent des besoins d’investissement urgents que sont la défense, l’éducation et la transition écologique. Pourtant, nous allons devoir fournir des efforts dans ces trois domaines au risque de voir notre croissance se dégrader.

Un consensus existe cependant sur les dépenses publiques nécessaires pour satisfaire ces différents besoins : environ 90 Md€ par an, dont 30 Md€ destinés à la seule transition écologique. Suivant les règles européennes nous avons donc 4 à 7 ans pour assainir les comptes publics et passer sous la barre des 3 % de déficit tout en dégageant 90 Md€ de dépenses supplémentaires. Et pourtant, la transition reste absente des discussions.

Ainsi, il est essentiel de remettre la transition écologique au cœur du débat sur le budget et de trouver de nouvelles recettes pour y répondre. Pour cela, Anne-Laure Delatte affirme que les propositions abondent dans la littérature grise parue depuis 2015. Ces mesures pourraient permettre jusqu’à 130 Md€ d’économies, ce qui nous permettrait d’atteindre notre cible de déficit. Une trajectoire d’ajustement est donc possible, mais elle nécessite de rompre avec l’idée selon laquelle l’ajustement ne devrait être que budgétaire, comme l’a montré la suite du colloque. 

Comment concilier redressement budgétaire, transition écologique et justice sociale ?

D’une part, pour promouvoir un budget juste il faut favoriser les recettes justes. Aussi, dans un souci de progressivité, Anne-Laure Delatte écarte une hausse de la TVA ou de la CSG et invite les cadres politiques à privilégier une augmentation des cotisations sociales, la mise en place de la taxe Zucman ou encore une réforme du crédit d’impôt recherche. Clément Carbonnier (professeur à l’Université Paris 8 et chercheur au LED) soutient quant à lui la suppression des exonérations de cotisations sociales au-delà de 2 SMIC. Une telle mesure permettrait d’engendrer 8 Md€ d’économies et de soutenir un système juste. En effet, selon lui, ces allègements, à l’origine prévus dans l’objectif de favoriser l’emploi, non seulement ne remplissent pas leur objectif initial, mais contribuent à enrichir les plus riches en étant distribués entre les salariés les plus aisés et les actionnaires.

D’autre part, il faut rendre la transition environnementale juste. Selon Fabien Guimbretière (secrétaire national de la CFDT), cela suppose un accompagnement différencié selon les catégories de la population. Aujourd’hui, la fiscalité écologique pénalise les ménages les plus précaires, ce qui entraine un problème de justice sociale. Pour rééquilibrer le poids de l’effort, Fabien Guimbretière est partisan de l’instauration d’une taxe sur le carbone ajouté, qui permettrait de taxer le carbone à toutes les étapes de la production.

Alexandre Poidatz (responsable plaidoyer Climat et inégalités chez Oxfam France) a quant à lui rappelé que la fiscalité vise d’abord à réduire les inégalités et qu’ainsi, la fiscalité climatique doit permettre de réduire les inégalités climatiques. Aujourd’hui, un Français émet en moyenne 6,4 tonnes de CO2 par an. Ce chiffre masque toutefois des réalités bien différentes : les 50 % des Français les plus pauvres n’émettent que 4 tonnes de CO2 par an alors que Bernard Arnault émet à lui seul plus de 8 000 tonnes de CO2 par an[1]. L’objectif de 2,8 tonnes par habitant à horizon 2030 est encore bien loin, surtout au sein des classes les plus aisées. Il est donc nécessaire de taxer la consommation polluante.

Cependant, Poidatz a souligné qu’il était également absolument essentiel de mettre en place une fiscalité climatique sur la rente, la spéculation, l’héritage et les multinationales qui n’investissent pas assez dans la transition. En effet, selon Oxfam[2], en dix ans, les 100 plus grandes entreprises françaises cotées en bourse ont versé en moyenne 71 % de leurs bénéfices en dividendes. Aussi, Poidatz est favorable à l’instauration d’une taxe sur les dividendes « climaticides ». Cette mesure, qui devrait permettre de réaliser 48 Md€ d’économies par an, consiste à surtaxer, voire à interdire, les dividendes versés aux actionnaires dans le cas où la multinationale ne respecterait pas les trajectoires de décarbonation correspondant à son secteur d’activité.

Pour les intervenants, un redressement budgétaire à la fois juste et écologique apparaît donc possible. Toutefois, la réussite d’une telle trajectoire dépendra de la capacité des cadres politiques à la faire comprendre et accepter par la population. 

Ces mesures sont-elles acceptables ?

Comme l’a dit Grégory Blanc (Sénateur de Maine et Loire) dans l’introduction du colloque, il y a parfois une différence notable entre ce qui est nécessaire et ce qui est possible du point de vue politique. Il est donc essentiel d’interroger l’acceptabilité des mesures que nous avons évoquées.

Dans ce cadre, Elvire Guillaud (maître de conférence en Économie à l’Université Paris 1 et chercheuse au CES) est d’abord revenue sur les discours selon lesquels il n’est pas envisageable de faire passer l’ajustement budgétaire par une hausse des prélèvements. Cette idée, largement répandue, vient du fait que le taux de prélèvement français est déjà relativement élevé par rapport aux autres pays européens. Notre modèle serait déjà trop généreux. Pourtant, la question centrale n’est pas selon elle, celle de la générosité de notre modèle mais plutôt celle de son ambition. Parler de générosité conduit à imaginer un puits sans fond de dépenses ; parler d’ambition à l’inverse nous permet de revenir à l’origine de notre modèle. Or lorsqu’il a été créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’objectif de notre modèle était de créer une interdépendance entre les individus et de compenser les inégalités générées par les risques. En somme, notre modèle a été créé pour aider les Français à faire nation.

De plus, comme l’a ajouté Elvire Guillaud, le récit de la générosité présente toujours l’État comme un mauvais gestionnaire des dépenses, alors même que la socialisation permet de rendre certains services plus abordables. En réduisant les dépenses, on ne supprime pas le besoin, on laisse simplement les individus recourir au marché pour y répondre. Aussi la question n’est pas tant celle du niveau de dépenses optimal mais plutôt celle du niveau de socialisation souhaité par la population.

Il s’agit donc de savoir si les Français sont prêts à voir leurs prélèvements augmenter pour soutenir le système. À ce sujet, Elvire Guillaud a relevé plusieurs résultats : d’abord, la vieillesse et la santé sont les deux grands risques qui inspirent le plus de soutien au sein de la population française ; ensuite, lorsque l’on donne un objectif clair à la hausse des prélèvements, on rencontre un soutien important auprès des individus interrogés ; enfin, il n’existe aujourd’hui aucun signe de révolte du cotisant.

Toutefois, malgré une relative connaissance du système fiscal, Elvire Guillaud remarque que de nombreuses fausses informations circulent encore quant au système budgétaire et risquent de miner l’acceptabilité de certaines mesures. Finalement, selon elle, les Français semblent prêts à soutenir le système. Il s’agit maintenant de proposer des mesures justes et écologiques pour préparer l’avenir et réconcilier le nécessaire et le possible.

Lison Brochet

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