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Colloque PSE : « Le coût de l’inaction : les dommages économiques du changement climatique »

Le colloque organisé ce mardi 24 juin par l’École d’Économie de Paris, intitulé « Le coût de l’inaction : les dommages économiques du changement climatique », a réuni des chercheurs français et internationaux pour discuter des récentes avancées dans l’évaluation des impacts économiques du réchauffement climatique. Les débats ont souligné les évolutions marquantes dans la littérature économique, remettant en question les premières estimations et mettant en lumière la nécessité d’une approche plus granulaire et intégrée pour mieux appréhender les futurs scénarios climatiques et leurs impacts socio-économiques.

Ce mardi 24 juin, l’École d’Économie de Paris (PSE) a organisé un colloque intitulé « Le coût de l’inaction : les dommages économiques du changement climatique » organisé dans le cadre de l’initiative PSE – Environnement. De nombreux chercheurs français et internationaux y ont présenté leurs derniers travaux.

Des changements majeurs dans la littérature sur les conséquences économiques du réchauffement

Ce colloque a mis en lumière les évolutions profondes qui ont marqué la littérature économique sur les impacts du changement climatique depuis les premières de William Nordhaus [1], qui, si elles ont le mérites d’avoir été pionnières dans le champs académique des économistes, ont néanmoins depuis été largement contredites. Il ne saurait désormais être sérieusement soutenu qu’un réchauffement de trois degrés Celsius pourrait constituer un optimum. Les chercheurs réunis ont souligné la nécessité d’une plus grande granularité dans les données mobilisées, ainsi que d’une compréhension renforcée des dynamiques propres aux systèmes climatiques. Comme ils l’ont rappelé, nombre des effets futurs du réchauffement ne peuvent être inférés à partir des seules données historiques, et les extrapolations aveugles de fonctions de dommage sont susceptibles de produire des résultats incohérents, voire dénués de sens.

Parmi les contributions présentées, celles de Massimo Tavoni (European Institute on Economics and the Environment) et de Marta Mastropietro (École polytechnique de Milan) se distinguent par leur approche innovante de la modélisation des événements climatiques extrêmes et de leurs répercussions sur le bien-être. Leur travail intègre ces chocs dans l’estimation des fonctions de dommage, en analysant les effets du réchauffement climatique sur les trois composantes de l’Indice de développement humain (espérance de vie, durée attendue de scolarisation, PIB par habitant), à travers différents scénarios socio-économiques (Shared Socioeconomic Pathways, ou SSP, définis par le GIEC). Leurs résultats mettent en évidence que même les pays les plus développés sont susceptibles de connaître une dégradation significative de leur IDH, y compris dans les trajectoires les plus modérées.

D’autres travaux se sont penchés sur des effets non monétaires du réchauffement notamment sur la migration et ses différentes formes. Les recherches de Katrin Millock (PSE, CNRS), avec Christine Le Thi (OCDE) et Julie Sixou (INSEE), dans « Flood and Residential Mobility in France », et celles de Hélène Benveniste (Stanford University), avec Peter Huybers et Jonathan Proctor, « Global Climate Migration is a Story of Who and Not Just How Many » (2025), offrent deux perspectives complémentaires sur la mobilité climatique. Millock et al. analysent les effets des inondations en France et montrent que ces événements n’entraînent pour l’instant qu’une légère hausse de la mobilité résidentielle (+1,1 p.p.) mais avec de fortes hétérogénéités sociales : les plus pauvres sont contraints à l’immobilité, tandis que les plus riches s’adaptent localement. Le principal mécanisme identifié est un effet de désagrément, sans impact net sur les revenus. Benveniste, quant à elle, démontre que les effets du climat sur la migration dépendent largement des caractéristiques démographiques : au niveau transfrontalier, les moins éduqués réagissent plus à la chaleur (aspirations), tandis que dans les pays tropicaux, les plus éduqués migrent davantage (capacité). Le climat n’affecte donc pas tant le nombre de migrants que leur profil socio-économique. Ces travaux soulignent l’importance de modéliser localement les effets du climat sur la mobilité tout en prenant compte de l’hétérogénéité des agents afin de mieux anticiper les effets en termes d’inégalités et de mieux orienter les politiques d’adaptation.

Enfin, Adrien Bilal (Stanford) a présenté son célèbre document de travail de mai 2024 publié avec Diego Känzig intitulé « The macroeconomic impact of climate change: global vs. local temperature ». L’Institut Avant-garde s’était alors longuement entretenu avec lui dans le cadre d’un « Dialogue » publié sur le site. Ce travail renouvelle l’estimation des effets macroéconomiques du réchauffement climatique en mettant l’accent sur la température globale, et non plus seulement locale. Alors que les approches traditionnelles fondées sur la variation locale estiment des pertes de PIB limitées (1 à 3 %), les auteurs montrent qu’un réchauffement global permanent de 1 °C entraînerait une chute de 19 % du PIB mondial, soit un impact six fois supérieur. Cette divergence s’explique par la capacité de la température globale – particulièrement celle des océans – à prédire l’occurrence d’événements extrêmes, absente des chocs locaux. Ce changement d’échelle modifie aussi radicalement l’évaluation du coût social du carbone, estimé à plus de 1 300 $/tCO₂ (contre moins de 180 $ pour les approches locales), rendant les politiques unilatérales de décarbonation non seulement justifiées, mais économiquement rentables, y compris pour des pays seuls comme les États-Unis.

Vers une économie du climat plus réaliste : incertitudes, extrapolations et angles morts

Bien que ces travaux récents s’écartent des premières estimations, fragiles et largement controversées, des coûts des dommages climatiques proposées par Nordhaus, ils demeurent confrontés à des limites méthodologiques et théoriques. En particulier, ces exercices de modélisation peinent à intégrer l’incertitude fondamentale au sens de Frank Knight (1921) [2] — notamment celle liée aux événements humains extrêmes comme les conflits, les pandémies ou les famines — et n’intègrent que peules points de bascule des systèmes climatiques et environnementaux (effondrement de la biodiversité). Ces modèles ont ainsi du mal à représenter les dynamiques non linéaires et les déséquilibres qui pourraient résulter du franchissement de tels seuils critiques et donc sous-estiment le renchérissement des coûts associé. En outre, malgré une convergence croissante entre économistes et climatologues, transposer les résultats des modèles physiques dans les modèles économiques demeure une difficulté majeure.

Les méthodes économétriques mobilisées pour estimer les fonctions de dommage permettent certes d’ancrer les évaluations sur des données empiriques, mais elles se heurtent à une difficulté théorique majeure : l’extrapolation hors échantillon. En effet, elles reposent sur l’observation de chocs passés et transitoires de faible amplitude (de l’ordre de 0,1 degré Celsius) pour projeter les effets à long terme d’un réchauffement global qui sera, lui, durable et potentiellement bien plus marqué (plusieurs degrés).Par ailleurs, les effets différenciés du changement climatique sur les agents économiques, selon leur secteur, leur localisation géographique ou leur niveau de revenu, restent encore insuffisamment intégrés, alors même qu’ils constituent un enjeu central en matière d’inégalités.

Enfin, une articulation plus étroite avec les apports de l’économie politique semblerait nécessaire. En postulant l’optimalité des politiques climatiques et l’absence de frictions dans leur mise en œuvre, ces modèles occultent des dimensions essentielles : le rôle du lobbying, les inerties institutionnelles liées aux comportements des décideurs, ainsi que les rapports de force géopolitiques qui structurent les trajectoires d’action publique en matière climatique.

« Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles. » (George Box)

Au-delà de leurs limites méthodologiques et théoriques, ces approches conservent une utilité réelle. Elles offrent un cadre analytique structuré pour la conduite d’analyses coûts-efficacité et pour l’estimation du signal-prix nécessaire à une tarification efficace du carbone. Par ailleurs, les méthodes économétriques contribuent à ancrer empiriquement les fonctions de dommage intégrées aux modèles, tout en permettant de mieux appréhender l’hétérogénéité des agents économiques et les effets différenciés du réchauffement selon les régions, les secteurs ou les niveaux de revenu.

D’abord marginale, la sous-estimation des dommages des travaux antérieurs et les failles cruciales des Integrated Assement Models (IAMs) font désormais de plus en plus consensus [3]. À mesure que le temps passe, les coûts de l’inaction ne cessent de croître, pesant de manière disproportionnée sur les territoires les plus vulnérables et les populations les plus précaires. La journée s’est conclue par une table ronde réunissant plusieurs experts issus du NGFS (Network for Greening the Financial System – le réseau de banques centrales en charge de ces questions), de la Direction générale du Trésor et de la Revue Risques, animée par Marc Fleurbaey (PSE, CNRS). Celui-ci a notamment attiré l’attention sur le contexte de retour de bâton environnemental, tant au niveau national qu’international, soulignant que nous nous trouvons aujourd’hui à la croisée des chemins dans la lutte contre le changement climatique et ses conséquences économiques et sociales.

Une fois ces limites et l’urgence de la situation identifiées, faut-il pour autant renoncer à faire de la macroéconomie du climat ? Bien au contraire : malgré l’incertitude des estimations et la dispersion des résultats, cette discipline fournit aux décideurs un cadre analytique pertinent pour orienter les politiques d’adaptation, de résilience et de stabilité financière. À condition toutefois d’en saisir les limites : il ne s’agit pas d’un outil de prévision indiquant avec précision le chemin à suivre, mais plutôt d’une boussole — un instrument d’orientation qui, sans prétendre à l’exactitude, permet de naviguer dans un univers incertain.

C’est dans cet esprit qu’il convient de replacer la macroéconomie du climat dans le cadre plus large de la prospective, un concept inventé par le philosophe français Gaston Berger [4]. La prospective se distingue fondamentalement de la prévision en ce qu’elle « regarde l’avenir en face » non pour le deviner, mais pour le construire. Là où la prévision s’appuie sur l’extrapolation des tendances passées dans un horizon court et figé, la prospective adopte une posture dynamique : elle explore une pluralité de futurs possibles, plausibles et souhaitables, afin d’éclairer l’action présente. Gaston Berger insistait sur l’importance d’« allonger les phares » dans un monde en accélération, car l’avenir est un champ de possibles à configurer plus qu’un destin à subir. Appliquée au climat, cette démarche permet donc aux décideurs publics de penser les transitions à long terme, d’intégrer l’incertitude dans leurs stratégies et de concevoir des politiques robustes face aux ruptures systémiques. C’est d’ailleurs l’exercice auquel se livre le GIEC depuis maintenant plus de trois décennies.

Noé Duvivier

Image : Pierre-Jacques Volaire, L’Éruption du Vésuve, 1771, huile sur toile, Art Institute of Chicago.

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Notes 

[1] Nordhaus (1992)

[2] Frank Knight dans Risk, Uncertainty and Profit (1921) le risque désigne une incertitude dont les probabilités sont connues et mesurables, tandis que l’incertitude fondamentale concerne des situations où ces probabilités sont inconnues et ne peuvent être calculées.

[3] Voir Robert Pyndick, « The Use and Misuse of Models for Climate Policy », Review of Environmental Economics and Policy, 2017 : « I argued that integrated assessment models (IAMs) “have crucial flaws that make them close to useless as tools for policy analysis”. In fact, I would argue that the problem goes beyond their “crucial flaws”: IAM-based analyses of climate policy create a perception of knowledge and precision that is illusory and can fool policymakers into thinking that the forecasts the models generate have some kind of scientific legitimacy.».

[4] Voir Gaston Berger, Phénoménologie du temps et prospective, 1964.

 

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