Written by 13h00 Croquis

La dette et son « garde-fou » dans les règles budgétaires européennes

Les nouvelles prévisions macroéconomiques de la Commission européenne impliquent un ajustement des finances publiques plus fort pour respecter les règles budgétaires en France. Le solde structurel primaire devrait augmenter de 0,98 point chaque année pendant 7 ans. Outre la dégradation du déficit initial, largement commentée, le garde-fou de la dette, qui oblige à une diminution annuelle minimale du ratio dette/PIB, est le principal déterminant de ce changement. Ce garde-fou, introduit pour des raisons purement politiques pendant les négociations des nouvelles règles, n’a pas de justification économique et le cas de la France montre qu’il peut mettre en péril le respect et l’efficacité des règles budgétaires.

Vendredi dernier, la Commission européenne a publié sa prévision macroéconomique d’automne pour la France et les autres États membres. Les données de cette prévision sont au cœur de l’analyse de la soutenabilité de la dette (DSA) qui détermine quelle trajectoire budgétaire les pays européens doivent suivre à minima pour respecter les règles budgétaires. Reformées en 2024, les règles budgétaires exigent qu’à la fin d’un intervalle de quatre ou sept ans, la dette publique diminue et que le déficit public soit inférieur à 3 %. Étant donné que le gouvernement ne prévoit pas de revenir à un déficit inférieur à 3 % d’ici 2028, nous considérons dans cette note uniquement une période d’ajustement de sept ans.

La trajectoire à minima de la France a évolué considérablement avec ces nouvelles données macroéconomiques. Le Graphique 1 montre l’ajustement minimal du solde structurel primaire chaque année pour respecter les règles budgétaires basé sur la prévision de la Commission du printemps (en gris) et la nouvelle prévision d’automne (en vert). Nous utilisons la méthodologie du think tank Bruegel pour approximer les demandes de la Commission. L’ajustement annuel moyen nécessaire a quasiment doublé par rapport à ce qui était prévu il y a six mois : il faudrait faire augmenter le solde structurel primaire de presque un point chaque année pendant 7 ans. Sur toute la période, cela correspond à 144 milliards d’euros d’économie et une réduction progressive du déficit jusqu’à 1,35 % en 2031 [1].

Graphique 1 – Ajustement du solde structurel primaire

Source : Calculs de l’auteur, Commission européenne.

Deux facteurs principaux expliquent cette révision importante :

  1. Un déficit structurel primaire initial plus élevé : La prévision de printemps estimait le déficit structurel primaire à 2,97 % en 2024, tandis que la prévision d’automne révise cette estimation d’un point de pourcentage à 3,96 %, en cohérence avec les prévisions incluses dans le PLF. Par conséquent, l’ajustement nécessaire pour atteindre une dette en diminution et un déficit suffisamment bas après sept ans augmente.
  2. Le garde-fou de la dette : Les nouvelles règles budgétaires sont plus contraignantes, on parle alors de « garde-fous », pour les pays ayant une dette élevée (>60 %) ou un déficit élevé (>3 %). Le garde-fou de la dette exige une réduction du ratio dette/PIB d’au moins un point de pourcentage par an [2]. Le garde-fou du déficit demande une amélioration du solde structurel primaire d’au moins 0,25 point de PIB par an [3]. Avec les données macroéconomiques actualisées, le garde-fou de la dette devient contraignant pour la France. En effet, l’ajustement nécessaire pour s’assurer que la dette baisse autant est plus important que le déficit initial est large.

C’est le garde-fou de la dette qui explique une plus grosse partie de l’effort additionnel. Pour le montrer, nous examinons le scénario contrefactuel qui exclut le garde-fou de la dette de la modélisation des règles. Le Graphique 2 montre l’ajustement minimal du solde structurel primaire chaque année pour respecter les règles budgétaires, basé sur la prévision du printemps (en gris) et la nouvelle prévision d’automne (en vert clair), comme le Graphique 1. Mais cette fois, nous y ajoutons l’ajustement théorique « sans garde-fou de la dette » avec la prévision d’automne (en vert foncé). Dans ce cas, une amélioration du déficit structurel primaire de 0,73 point par an est nécessaire. À noter qu’au printemps, le garde-fou de la dette n’était jamais contraignant dans le cas de la France.

Graphique 2 – Ajustement du solde structurel primaire avec et sans garde-fou de la dette

Source : Calculs de l’auteur, Commission européenne.

L’application du garde-fou de la dette est donc responsable de plus de la moitié de l’ajustement supplémentaire nécessaire (zone verte), comparé à la dégradation du déficit initial reflétée dans la prévision d’automne (zone grise). Le cible du solde structurel primaire après ajustement était de +0,81 % au printemps et passe à +1,15 % à l’automne à cause du déficit initial plus élevé (si nous supposons que le garde-fou de la dette n’existe pas). En incluant le garde-fou de la dette, cet objectif augmente à +2,90 % (voir Graphique 3).

Graphique 3 – Solde structurel primaire cible après la période d’ajustement

Source : Calculs de l’auteur, Commission européenne.

Cette analyse montre l’impact substantiel du garde-fou de la dette sur la trajectoire d’ajustement requise par les règles budgétaires. La réforme du cadre budgétaire avait pour l’objectif d’améliorer le respect des règles et de créer des espaces pour les investissements et les politiques contracycliques. Le garde-fou de la dette compromet ces objectifs. D’abord, l’ajustement minimal est indépendant de la situation conjoncturelle et peut freiner des investissements publics. De plus, un ajustement annuel du solde structurel primaire d’environ un point de PIB sur une période de sept ans conduisant à un excédent de près de 3 % est très peu susceptible d’être politiquement réalisable. D’autant plus que l’introduction même des garde-fous n’a pas été fondée sur des arguments économiques comme les critères DSA, mais parce que les États membres frugaux ont insisté sur des ajustements minimaux chiffrés, quels que soient les résultats du modèle macroéconomique. La crédibilité des règles est donc substantiellement réduite. Enfin, il crée des incitations négatives, comme le maintien dans une procédure concernant les déficits excessifs (PDE), puisque le garde-fou de la dette ne s’applique pas si un pays est dans la PDE jusqu’à la fin de la période d’ajustement.

Il y a beaucoup d’arguments en faveur et contre les règles budgétaires, mais les dispositions telles que le garde-fou de la dette, en menant à des résultats absurdes tel qu’on peut le voir sur le Graphique 1, ne font que les décrédibiliser.

Jonas Kaiser

Image : Piet Mondriaan, Dune III, 1909, huile sur carton, 29,5x 39 cm. Musée d’Art de La Haye.

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Notes

[1] En 2025, l’ajustement structurel primaire à minima serait de 29 milliards € et le déficit public tomberait à 5,5 % (6,2 % en 2024).

[2] 0,5 point si la dette est entre 60 % et 90 %.

[3] 0,4 point si la période d’ajustement est 4 ans.

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