Par 13h47 Tribuns

Panel : Comment financer la transition écologique ?

La première conférence de l’Institut Avant-garde, coorganisée avec Construire l’écologie, à l’ENS Ulm le 15 mai, était consacrée à la transition écologique en Europe en vue des élections de juin. Dans le premier panel, modéré par la co-fondatrice de l’Institut, Clara Leonard, quatre intervenants ont pris la parole : Anne-Laure Delatte, chercheure en économie au CNRS à l’Université Paris Dauphine, membre du CEPR et auteure de L’État droit dans le mur ; Grégory Claeys, économiste et auteur de The Macroeconomics of Decarbonisation ; Jérôme Creel, directeur du département des études à l’OFCE et professeur associé à l’ESCP, et David Amiel, Vice-président du groupe Renaissance. Vous trouverez ci-dessous une synthèse des débats.

Comment financer la transition écologique ? Lors de son discours introductif, Clara Leonard a souligné l’importance de ce sujet en rappelant que l’Europe devra dépenser entre deux et trois points de PIB additionnels chaque année pour réaliser ses objectifs de réduction d’émission. Cela, alors que les dettes publiques ont atteint en moyenne 82 % du PIB en Europe et que les règles budgétaires européennes, malgré leur réforme récente, restent très contraignantes. L’objectif climatique et l’objectif budgétaire risquent ainsi de s’opposer. Le panel a exploré les manières de résoudre ce dilemme.

Quels outils pour financer la transition ? 

David Amiel remarque que l’Union européenne dispose déjà d’une combinaison d’instruments, comme le marché du carbone, les Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC) et le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF). Il risque cependant d’y avoir une fracture économique et sociale, à la fois au sein des États membres – les ménages le plus pauvres ayant plus de difficultés de s’adapter – mais aussi entre les États membres – les pays riches comme l’Allemagne et la France ayant davantage les moyens d’investir dans leur transition. Selon lui, la révision idéologique qui a eu lieu au niveau national doit s’étendre au niveau européen pour imaginer des outils communs. Il identifie quatre priorités : rendre possibles les investissements significatifs nécessaires ; gérer le risque commercial (par exemple grâce à l’extension du MACF aux importations de véhicules) ; finaliser l’union des marchés des capitaux et aider à décarboner les pays du Sud.

Anne-Laure Delatte constate de son côté que, face au changement climatique, une augmentation de la dette publique sera indispensable. Le FMI projette en effet un accroissement d’entre dix et cinquante points de pourcentage de la dette publique mondiale pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle souligne l’importance des marchés financiers pour absorber cette dette croissante. À cet égard, la Banque centrale européenne (BCE) jouera également un rôle décisif. La banque ne doit plus nier l’interdépendance entre les États et les marchés financiers et garantir l’absorption de la dette de la transition par les marchés privés en agissant en tant que prêteur en dernier ressort.

Pour Grégory Claeys, toutefois, le rôle de la BCE dans la transition ne doit pas être surestimé. Étant donnée sa structure institutionnelle, elle ne peut pas être un acteur central pour opérer la réallocation nécessaire des crédits. Ce sont les États qui doivent en prendre la responsabilité grâce à leur politique budgétaire et à la régulation. Il souligne que la tarification carbone, même si elle est politiquement compliquée, pourrait être essentielle pour la transition parce qu’elle est un moyen efficace de changer les comportements et de rendre les investissements verts rentables. Elle peut aussi être une ressource fiscale importante. Selon le prix choisi, une taxe carbone pourrait rapporter entre 3 % et 5 % du PIB par an à son pic (avant de baisser avec la baisse des émissions).

Enfin, Jérôme Creel note que dans une situation où les banques centrales et les finances publiques nationales sont contraintes, il faut un effort européen pour financer la transition. Cependant, la pérennisation du plan de relance européen Next Generation EU, souvent évoquée, serait difficile pour des raisons légales. Toutefois, un mécanisme multilatéral spécifique tel qu’un Fonds européen pour le Climat (voir la proposition de l’Institut ici) pourrait contribuer à mobiliser les ressources nécessaires pour financer des biens publics européens et, en premier lieu, la transition environnementale.

Comment ces différents outils permettront-ils à l’Europe de résoudre le dilemme entre épuisement budgétaire et planétaire ? 

Jérôme Creel juge qu’il n’y a pas d’outils miracles. D’une part, nous aurons besoins d’investissements nationaux supportés par une politique monétaire accommodante. Ils devront répondre aux besoins d’investissements dans la transition, sans réduire d’autres dépenses cruciales en santé ou en sécurité sociale. D’autre part il nous faudra une réelle ambition européenne pour financer de nouveaux biens publics, afin de répondre collectivement aux besoins sociaux et environnementaux auxquels font face les européens.

Grégory Claeys s’accorde sur le fait qu’il serait plus logique de faire des choses au niveau européen. De plus, il met en garde contre le risque que la transition soit oubliée, au profit d’autres enjeux comme la défense ou la réindustrialisation.

David Amiel met l’accent, quant à lui, sur la nécessité d’une combinaison des mesures économiques et politiques. Il y aura, par exemple, des règlementations importantes qui vont être mises en place, comme la fin de la voiture à essence en 2035 ou une meilleure coordination dans l’approvisionnement de l’électricité. En même temps, à l’échelle européenne, nous aurons la possibilité d’exploiter de nouvelles ressources qui ne sont pas mobilisables au niveau national, comme le MACF ou un impôt minimum sur les revenus.

Selon Anne-Laure Delatte, il faut revoir nos priorités : l’épuisement budgétaire et planétaire n’ont pas la même importance ; il s’agit, selon elle, d’un faux dilemme. En réalité, nous pourrions relâcher nos contraintes d’endettement en France et en Europe. De plus, L’UE et la banque centrale savent faire du « whatever it takes » lorsque c’est nécessaire, et le feront à nouveau pour la transition.

Comment répartir la facture de la transition ? 

Cette question est cruciale en raison des enjeux économiques et environnementaux qu’elle soulève. Si l’on est optimiste et que l’on anticipe une croissance soutenue, la question du financement de la transition semble moins problématique. Cependant, face aux défis structurels et aux investissements verts souvent non rentables, la répartition des coûts devient une question épineuse, nécessitant une réflexion sur les outils de financement et leurs impacts.

Jérôme Creel constate qu’une part importante du financement doit être réalisée au niveau européen et donc être liée aux biens publics qu’il finance. Selon lui, une leçon centrale de Next Generation EU est qu’il faut privilégier les subventions aux prêts. Pour financer un nouveau fonds européen pour le climat, il propose que les contributions des États membres varient en fonction de leur capacité de financement et de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Grégory Claeys juge également que des cibles communes nécessitent des outils et des moyens communs. Cependant, il propose, lui, une prolongation de Next Generation EU plutôt que créer une nouvelle structure. Concernant la répartition d’effort entre public et privé, il ajoute qu’il y aurait une hétérogénéité entre les plans nationaux des pays. Les Pays-Bas prévoient un financement public de seulement 3 % tandis que la Lituanie prévoit une charge publique de 60 %.

Pour Anne-Laure Delatte, il y aurait deux visions concurrentes du rôle de l’État dans la transition. Si on croit que le progrès technologique peut résoudre la crise climatique, le rôle de l’État est de financer les investissements, comme actuellement aux États-Unis et en Europe. Si on n’y croit pas, le rôle de l’État est aussi de compenser les perdants de la transition et d’accompagner un changement de mode de vie et de consommation.

David Amiel souligne que nous aurons besoin d’un État investisseur pour développer des technologies et accélérer la décarbonisation dans les pays du Sud. Le financement doit être assuré, selon lui, par une combinaison de ressources propres de l’UE et de contributions des États membres. Le député Renaissance conclut que la question de l’acceptabilité de la transition et la répartition d’effort ne serait pas que budgétaire, mais aussi culturelle et politique. Il faut se battre, selon lui, contre un certain populisme qui remet en cause le principe même des politiques de transition.

Image: Henri-Edmond Cross (Henri-Edmond Delacroix), Paysage avec étoiles, vers 1905-1908, aquarelle sur papier blanc, 24,4 × 32,1 cm.

(Visited 155 times, 1 visits today)
Fermer