Par 18h22 La lanterne

Une économie circulaire qui ne tourne pas en rond

Le développement de l’économie dite circulaire est souvent vu comme l’une des conditions nécessaires pour construire une économie plus respectueuse de l’environnement. Son idée directrice est qu’il est possible de diminuer notre utilisation de ressources physiques et notre production de déchets en prenant mieux en compte le cycle de vie des matériaux. Souvent absente des préoccupations des économistes, l’économie circulaire apporte une réponse à un problème de coordination et peut être vu comme un moyen d’éviter les effets de bord quand on essaie d’augmenter l’efficacité de l’utilisation d’une ressource.

Dans le cadre de la transition environnementale, elle a donc un rôle à jouer même si son coût économique, qui dérive du fait qu’elle remplace souvent des ressources peu coûteuses par de l’humain qui l’est plus, restreint son développement en l’absence d’intervention de la puissance publique. Si elle a fait des progrès non négligeables depuis les années 2000, la France stagne dans la poursuite de ses objectifs de promotion de l’économie circulaire depuis 2015. Nous proposons le développement d’une stratégie industrielle favorisant la productivité du travail au sein de ce secteur pour passer à la vitesse supérieure.

Où en est-on ?

Les initiatives politiques pour promouvoir l’économie circulaire se multiplient. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015 reconnaît la transition vers une économie circulaire comme un objectif national et a fixé des cibles ambitieuses de réduction de la production de déchets (stabiliser son niveau de 2010 en 2020) et d’augmentation de la productivité matière (+30 % d’ici 2030). La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, du 10 février 2020, vise à éliminer le plastique jetable d’ici 2040 grâce à des interdictions progressives et l’élimination des invendus non alimentaires. De son côté, la Commission Européenne a présenté en mars 2020 un nouveau plan d’action pour l’économie circulaire. En 2022, elle a publié plusieurs propositions comme le projet de règlement pour l’écoconception des produits durables, la stratégie textile, la révision du règlement « produits de construction », l’initiative relative au rôle du consommateur dans la transition écologique, ou encore la révision de la directive sur les emballages et les déchets d’emballages.

Plus récemment, le gouvernement français a même fait évaluer la mise en place d’une TVA circulaire. Les produits écoconçus ou utilisant des matériaux issus du recyclage pourraient bénéficier d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée afin d’être plus compétitifs. Cette initiative a pour objectif d’augmenter le recours aux produits issus de modes de production circulaires, mais son application n’est pas simple : comment par exemple définir une taxonomie permettant de les repérer et éviter le « circular washing » ? Par ailleurs, si cela ne s’accompagne pas d’une monté en capacité de l’économie circulaire, cette mesure aura une efficacité toute relative.  

De fait, la France est en retard par rapport à ses ambitions. La productivité matière, qui rapporte la consommation intérieure apparente de matières au PIB, stagne depuis 2015 après une amélioration continue depuis 1990 (voir Graphique 1). Il reste encore la majorité du chemin pour atteindre l’objectif en 2030, c’est-à-dire une productivité matière à 3,8 €/kg (2,9 €/kg en 2021). La production de déchets dangereux et non dangereux n’a pas réellement baissé depuis 2010 d’après le service statistique du Ministère du Développement Durable : nous produisions 355 millions de tonnes de déchets en 2010 et 310 millions en 2020, une baisse largement due à la pandémie (343 millions de tonnes en 2018).

Graphique 1 : Depuis 2015, la productivité matière de l’économie française n’augmente plus

Source : INSEE, SDES. Notes : Le Graphique montre l’évolution de la productivité matière de l’économie française de 1990 à 2021. La productivité matière est le rapport entre la consommation intérieure de matière (y compris les importations) en kg et le PIB. 

Qu’est-ce que l’économie circulaire ?

L’économie circulaire repose sur la réutilisation et le recyclage au plus haut degré des ressources utilisées dans le processus de production afin de limiter à la fois l’extraction de matière première et les déchets. L’idée est simple : la majeure partie des déchets dans le processus de production vient d’une utilisation incomplète des intrants. Il s’agit donc d’augmenter leur durabilité grâce à une bonne compréhension du cycle de vie des matériaux. Les déchets d’un certain type de production peuvent être utilisés comme des ressources dans un autre et des produits peuvent être revendus, réparés ou réadaptés pour d’autres utilisations, etc. Cette approche en cycle de vie donne sa dimension circulaire à cette économie en opposition à une économie dite linéaire où la ressource est juste utilisée ponctuellement (voir Graphique 2).  

Graphique 2 : Une représentation schématique d’une économie circulaire

Source : Stahel (2016). D’après les partisans de l’économie circulaire, une bonne compréhension des cycles de vie de matériaux permet de les utiliser pour une plus longue durée et de les utiliser plus efficacement.

L’économie circulaire ne fait pas partie en général de la boîte à outils des économistes. On définit souvent l’économie comme « la science de l’administration des ressources rares », selon les mots de Raymond Barre[1]. Pourtant, Fullerton et al. (2022)[2] rapportent qu’en 2021 seulement 71 articles d’économie, tous en dehors des journaux de premier rang, mentionnaient la notion d’économie circulaire. Pour un économiste, la notion d’économie circulaire peut paraître étrange en effet. Elle semble répondre à un problème, la rareté, en n’y apportant qu’une seule solution : la durabilité, et ce au détriment des autres.

De fait, une économie efficace en ressource n’est pas forcément circulaire. Dans le langage de l’économiste, on peut dire que l’économie circulaire répond aux échecs de marché liés aux externalités à cause des déchets et l’extraction des ressources primaires. Mais la solution traditionnelle est alors d’internaliser ces externalités en corrigeant le signal prix. Conditionnellement à cette correction, la durabilité des ressources n’est pas un objectif plus primordial qu’un autre[3].

L’économie circulaire : une solution à un problème de coordination ?

L’économie circulaire peut toutefois être vue comme la solution à un problème de coordination qui échappe aux remèdes économiques habituels. Le cycle de vie des ressources implique une multitude d’acteurs et les efforts d’efficacité sur une partie seulement de ce cycle déplacent souvent l’inefficacité ailleurs plutôt que de l’éliminer. Par exemple, notre focalisation sur les émissions de gaz à effet de serre augmente la demande pour les ressources minérales[4], illustrant ce qu’on appelle un effet rebond[5] : l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation de ressources ne réduit pas proportionnellement leur consommation à cause d’effets de bouclage macroéconomique. L’absence de vision globale empêche donc souvent de prendre en compte les effets de bord des solutions proposées. En adoptant une approche plus holistique, l’économie circulaire cherche à résoudre ce problème de coordination quand le signal prix ne suffit pas. L’approche en cycle de vie permet en effet de mieux traiter ces effets de bord.

De nombreux aspects de nos économies sont déjà circulaires, par exemple le traitement des eaux. L’eau, une ressource rare dans certains environnements, suit un cycle naturel que l’homme a longtemps augmenté : pompage, traitement pour l’utilisation domestique, industrielle ou agricole, réutilisation, et retraitement avant retour dans la nature pour éviter la pollution. Plus largement, le recyclage et la revente sont déjà largement diffusés et participent à rendre notre économie déjà un peu circulaire. Mais ces îlots de circularité se basent sur des infrastructures et des régulations qui n’ont pas été fournies naturellement par le marché. La circularité est un bien public qui doit être supporté par l’État et le secteur associatif non marchand, qui est d’ailleurs l’un des acteurs majeurs de cette économie. Il y a plus de 20 ans, Emmaüs a par exemple initié des « ressourceries » et de « recycleries » en avance sur les régulations qui se sont mises en place depuis.

Nous sommes loin cependant de résoudre les problèmes de l’extraction des ressources et de production de déchets. Un article de 2017[6] estimait que sur les 8300 millions de tonnes de plastique produits depuis 1950, 30 % étaient encore utilisés, 9 % avaient été recyclés et 12 % incinérés, laissant 49 % dans des décharges ou la nature. La transition écologique devrait augmenter considérablement la production de matériaux critiques, ce qui, malgré des réserves suffisantes, aura des coûts monétaires et environnementaux. La hausse de la demande pourrait rendre rentable l’extraction de ressources auparavant trop polluantes ou trop coûteuses. Selon une estimation[7], cela pourrait entamer 1 à 9 % de notre budget carbone mondial si nous souhaitons limiter le réchauffement à 1,5 degré. De plus, l’extraction menace notre biodiversité au niveau mondial : une étude récente[8] estime que 8 % des zones minières coïncident avec des zones protégées, 7 % avec des zones clés pour la biodiversité et 16 % avec des zones abritant des animaux sauvages. Il faut donc réussir à aller plus loin dans le développement de l’économie circulaire.

Comment fonctionne l’économie circulaire ?

Les défenseurs de l’économie circulaire proposent un certain nombre d’outils pour augmenter la durabilité des ressources que nous utilisons, on peut retenir cinq grands types d’actions :

  • Remplacer les matières premières par des ressources renouvelables, dans la génération d’énergie par exemple.
  • Utiliser les déchets comme nouvelle source de matière première. C’est l’esprit du recyclage, mais cela implique aussi d’utiliser plus largement des produits qui sont plus facilement recyclables.
  • Augmenter la durée de vie des produits. Cela passe par un entretien plus poussé et leur réparation. Là encore la réparabilité est une caractéristique importante à prendre en compte en amont lors de la conception des produits.
  • Augmenter le taux d’utilisation des produits par le partage. De nombreux produits de la vie courante sont sous-utilisés, favoriser leur partage (comme le font déjà certaines entreprises qui permettent de louer des outils par exemple) permettrait d’augmenter leur taux d’utilisation.
  • Offrir des services plutôt que des produits. Changer notre rapport à la propriété des produits pourrait inciter à augmenter la durabilité des ressources. Si par exemple le producteur reste propriétaire des matières utilisées, on peut penser au lithium de la batterie d’un véhicule électrique, il a un intérêt à augmenter sa durée d’utilisation. Cela implique de transformer les produits vendus en services offerts, notamment via la location ou le leasing.

La plupart de ces solutions, plus ou moins explicitement, ne sont pas des sources de richesse économiquement parlant. En limitant la production et en internalisant certaines externalités, elles divertissent les ressources matérielles et humaines d’utilisations plus économiquement rentables. Évidemment, cela ne signifie pas que ces activités ne sont pas socialement rentables, mais cela rend ces solutions plus difficiles à appliquer. Il est par ailleurs facile de sous-estimer le coût de l’économie circulaire : elle implique la mise en place d’une infrastructure importante et celle-ci demande une main-d’œuvre (réparateurs, revendeurs, régulateurs, etc.) qui ne travaillera pas gratuitement[9].

Malgré cela, il faut se demander pourquoi nous ne payons pas plus pour un produit qui dure plus longtemps, surtout quand cela permet des économies. Autrement dit, est-ce que notre économie est suffisamment circulaire ? Les outils présentés plus haut apportent certaines solutions, mais ils ne suffiront pas si les produits recyclés sont vus comme de moindre qualité ou si les différentes initiatives sont perçues comme trop couteuses en temps et en argent, comme pour la réparation. En définitive, la problématique est la même que celle qu’on peut rencontrer dans le cas de la rénovation énergétique : une information insuffisante et la présence d’externalités bien identifiées entraînent une sous-provision par le seul marché. En parallèle, l’État doit donc intervenir pour développer des infrastructures matérielles et humaines permettant d’augmenter la circularité de nos économies.

Que faire ?

Pour passer à la vitesse supérieure, l’économie circulaire doit faire partie de la stratégie de politique industrielle de l’État. Il s’agit de changer la structure industrielle de nos économies pour la rendre plus durable et économe en ressource. Cela passe par la création de nouvelles filières, le soutien à des acteurs économiques capables d’investir durablement et l’encouragement à l’innovation. Au-delà des avantages en termes d’efficacité énergétique et de préservation de la biodiversité, elle aurait aussi l’avantage de participer à renforcer la souveraineté économique européenne : l’Europe est une terre relativement pauvre en ressource et une économie plus circulaire la rendrait plus autonome. Ces politiques auront un coût, car elles modifient les avantages comparatifs actuels de l’économie européenne, mais ce coût est justifiée socialement et environnementalement parlant.

Pour limiter le coût de cette politique, il s’agit aussi de développer une stratégie industrielle qui ne se concentre pas uniquement sur le secteur manufacturier, à travers des normes ou bien une TVA circulaire, mais aussi sur la productivité du travail dans les services de l’économie circulaire. Si l’on peut accuser les partisans de l’économie circulaire de parfois tendre vers dans le techno-optimisme, l’économie circulaire remplace en pratique le plus souvent la ressource par le service, et donc l’humain. C’est l’une des contraintes les plus essentielles pour ce secteur : les coûts de main-d’œuvre sont élevés relativement aux coûts d’utilisation des ressources et le passage du linéaire au circulaire risque de rimer avec une baisse de productivité importante. Pour compenser cette perte et préserver la rentabilité de l’économie circulaire, il est crucial de développer une stratégie d’augmentation de la productivité dans le secteur.  Si l’on adapte par exemple les recommandations des économistes Dani Rodrik et Rohan Sandhu[10], il faut mettre en place des politiques permettant de concentrer l’emploi dans les acteurs les plus productifs, d’augmenter la productivité des plus petites associations ou entreprises existantes en leur fournissant des biens publics (formation, prêts garantis, infrastructure, etc.), de favoriser le développement de technologies complémentaires au travail dans le secteur et de créer de véritables filières de formation pour l’économie circulaire. De ce point de vue, tout reste à faire, mais ce focus sur la productivité est nécessaire pour avoir permettre une montée en gamme de ce secteur.

Cyprien Batut

Image : Vassily Kandinsky, Cercles dans un cercle, huile sur toile, 1923. 

Notes : 

[1] Barre, R. (1969). Economie politique.

[2] Fullerton, D., Babbitt, C. W., Bilec, M. M., He, S., Isenhour, C., Khanna, V., … & Theis, T. L. (2022). Introducing the circular economy to economists. Annual Review of Resource Economics14, 493-514.

[3] Fullerton, D., & He, S. (2021). Do Market Failures Create a ‘Durability Gap’ in the Circular Economy?

[4] Wang, S., Hausfather, Z., Davis, S., Lloyd, J., Olson, E. B., Liebermann, L., … & McBride, J. (2023). Future demand for electricity generation materials under different climate mitigation scenarios. Joule, 7(2), 309-332.

[5] Brockway, P. E., Sorrell, S., Semieniuk, G., Heun, M. K., & Court, V. (2021). Energy efficiency and economy-wide rebound effects: A review of the evidence and its implications. Renewable and sustainable energy reviews141, 110781.

[6] Geyer, R., Jambeck, J. R., & Law, K. L. (2017). Production, use, and fate of all plastics ever made. Science advances3(7), e1700782.

[7] Wang et al. (2023). Ibid.

[8] Sonter, L. J., Dade, M. C., Watson, J. E., & Valenta, R. K. (2020). Renewable energy production will exacerbate mining threats to biodiversity. Nature communications11(1), 4174.

[9] Le Post Growth Innovation Lab critique par ailleurs une économie circulaire qui ne serait que technocratique et invite à voir son développement comme un processus qui serait aussi politique.

[10] Rodrik, D., & Sandhu, R. (2024). Servicing Development.

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