Written by 13h22 Croquis

La France sur une nouvelle trajectoire ?

La France a publié son premier rapport d’avancement annuel, qui suit l’évolution des finances publiques dans le cadre des règles budgétaires européennes. Cette note prévoit désormais un pic de la dette française à 120 % en 2030 contre 118 % prévu en automne dernier. Cette révision s’explique principalement par deux inflexions : un changement de stratégie budgétaire sous le gouvernement Bayrou avec un ajustement plus étalé dans le temps, et une détérioration des perspectives macroéconomiques. En vue des aléas actuels (conflits commerciaux, réarmement, transition écologique), une hausse des dépenses publiques semble inévitable. Si ces dépenses sont bien ciblées et productives, elles pourraient limiter les effets négatifs d’un scénario d’inaction. L’analyse des trajectoires budgétaires doit intégrer ces nouvelles réalités.

Fin octobre de l’année dernière, la France a transmis à la Commission européenne son « Plan budgétaire et structurel à moyen terme » (PSMT). Ce plan présente le calendrier d’ajustement budgétaire prévu dans le cadre des règles budgétaires européennes réformées et entrées en vigueur début 2024. Le mercredi 16 avril 2025, la Direction générale du Trésor a publié un rapport d’avancement annuel qui rend compte de la mise en œuvre de son PSMT basé sur l’évolution des indicateurs macroéconomiques et des finances publiques.

Nous réalisons une analyse de soutenabilité de la dette (DSA), qui est au cœur des nouvelles règles, basée sur la méthodologie de Darvas et al. (2024), pour modéliser l’évolution de la dette publique au regard de ces nouvelles données [1]. En comparant les trajectoires issues du PMST d’octobre dernier et du rapport d’avancement (Graphique 1), nous trouvons qu’à son pic, la dette prévue sur la période 2025-2035 est maintenant deux points plus élevés (120 % contre 118 %, atteint en 2029).

Les deux raisons principales de cet écart sont :

  1. Un changement dans la trajectoire d’ajustement du gouvernement Bayrou.
  2. Les incertitudes macroéconomiques avec notamment une croissance plus modérée.
Graphique 1 – Evolution de la dette publique

Source : PSMT (2024), Rapport d’avancement annuel (2025), calcul de l’auteur.

Changement de trajectoire entre Barnier et Bayrou

La première explication de la hausse de la prévision de la dette vient d’un changement dans la stratégie d’ajustement budgétaire. Après le changement de gouvernement en décembre, la nouvelle administration dirigée par François Bayrou s’est éloignée des plans de consolidation du gouvernement Barnier, qui avait transmis le PSMT à la Commission européenne. L’ajustement proposé était plus ambitieux que ce qu’exigeaient strictement les règles budgétaires européennes et comprenait un effort important en début de période (« frontloading ») visant à ramener le déficit public à 5 % en 2025 [2]. Le Graphique 2 illustre cette stratégie d’ajustement en termes de variation du solde primaire structurel, l’indicateur clé dans les règles budgétaires européennes qui exclut les dépenses cycliques et les paiements d’intérêts.

En janvier, sous le nouveau gouvernement, la France a envoyé une lettre à la Commission européenne pour l’informer d’un amendement de sa trajectoire. Cette nouvelle trajectoire aligne l’ajustement proposé pour 2025 sur un nouvel objectif de déficit de 5,4 %, au lieu des 5 % initialement prévus. Cet ajustement supprime la concentration des efforts en début de période prévue initialement et se rapproche davantage de la structure d’ajustement linéaire définie par les règles budgétaires de l’Union européenne (UE). L’ajustement total sur la période de sept ans allant de 2025 à 2031 demeure toutefois inchangé [3]. En outre, les objectifs de déficit de 4,6 % en 2026 et de moins de 3 % en 2029 sont retenus.

L’effort structurel primaire nécessaire pour ramener le déficit public à 4,6 % en 2026 sera de 0,8 point de PIB, soit environ 23 milliards d’euros. À cet ajustement s’ajoutent une charge d’intérêt sur la dette plus élevée, la fin des mesures temporaires comme la surtaxe sur les grandes entreprises et une hausse des dépenses militaires. L’effort budgétaire total sera donc d’environ 40 milliards d’euros, tel que communiqué par le gouvernement dans le plan d’avancement.

Graphique 2 – Ajustement structurel primaire prévu

Source : PSMT (2024), Rapport d’avancement annuel (2025), illustration de l’auteur.
Lecture : L’ajustement du solde structurel primaire prévu dans le PSMT du gouvernement Barnier était de 1,4 point de pourcentage en 2025 et 0,6 point en 2026 contre 0,8 et 0,9 dans le plan du gouvernement Bayrou.

La suppression du frontloading dans la trajectoire d’ajustement budgétaire devrait atténuer les effets négatifs sur la croissance liés à l’impulsion budgétaire initiale. Bien que cette approche plus progressive pourrait entraîner un pic de dette publique plus élevé (120 % contre 118 % en 2029), la trajectoire du gouvernement Barnier aurait conduit à un niveau de dette légèrement inférieur, uniquement sous des hypothèses de croissance très optimistes. Dans ce contexte, un ajustement plus lissé pourrait s’avérer non seulement plus favorable à la croissance, mais aussi plus efficace pour la stabilisation de la dette à moyen terme.

Croissance ralentie et aléas

La deuxième source d’une prévision de dette en hausse est un environnement macroéconomique moins favorable. La croissance pour 2025 était prévue à 1,1 % en automne 2024, mais a été révisée par le gouvernement à 0,7 % en avril 2025. Cette correction a été effectuée en raison des hausses de droits de douane annoncées début avril, qui à elles seules, réduisent la croissance de 0,3 point via l’incertitude et une demande extérieure affaiblie. Le taux de croissance pour 2026 a également été révisé à la baisse, passant de 1,4 % à 1,2 %. Les incertitudes autour de la politique commerciale américaine et l’instabilité politique après la dissolution du Parlement font plus que compenser les effets positifs d’une politique budgétaire plus expansive (voir les prévisions de l’OFCE pour plus de détails).

Au-delà des incertitudes, les barrières commerciales peuvent également peser sur les finances publiques par un autre canal : un soutien public direct peut être demandé pour les entreprises exportatrices ainsi que pour les producteurs nationaux en concurrence avec les exportations chinoises moins chères et réorientées vers l’UE.

Les tensions géopolitiques croissantes exercent également une pression à la hausse sur les dépenses de défense. La loi de programmation militaire actuelle prévoit une augmentation des dépenses militaires de 3 à 4 milliards d’euros par an pour atteindre 68 milliards d’euros en 2030 (+0,4 % du PIB par rapport à 2025). Ces chiffres sont toutefois en cours de réévaluation, puisque Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, a quantifié un besoin d’atteindre un budget de 100 milliards d’euros en 2030, ce qui correspondrait à l’objectif de dépenses militaires entre 3 % et 3,5 % du PIB indiqué par Emmanuel Macron en mars. Le plan ReArm Europe autorise les États membres à augmenter leurs dépenses de défense jusqu’à 1,5 % du PIB par an pendant une période de quatre ans, sans violer le Pacte de stabilité et de croissance. Fait intéressant, l’augmentation déjà prévue des dépenses militaires en France pourrait ainsi créer une marge de manœuvre supplémentaire pour d’autres dépenses.

Finalement, il y a aussi la transition climatique qui demande des investissements supplémentaires revenant à la puissance publique entre 0,5 et 1 % du PIB, qui doivent être financés au moins en partie par la dette (voir notre rapport sur le sujet).

Conclusion

L’adoption d’un calendrier d’ajustement budgétaire plus progressif, combinée à des perspectives de croissance révisées à la baisse, contribue à une augmentation modérée des projections de dette publique à moyen terme. Toutefois, cette évolution ne remet pas en cause la soutenabilité de la trajectoire budgétaire : selon nos estimations, la dette reste sur une dynamique de stabilisation, bien que la probabilité de son déclin à la fin de la période d’ajustement en 2031 soit légèrement moindre sous le scénario de printemps (84 %) comparé à celui de l’automne (88 %).

Dans le contexte actuel de tensions commerciales, de réarmement européen et d’impératifs liés à la transition écologique, il est très probable que des dépenses publiques supplémentaires soient nécessaires. Si elles sont bien ciblées et productives, ces dépenses peuvent non seulement soutenir l’activité à court terme, mais aussi renforcer le potentiel de croissance à long terme.

L’inaction face à ces enjeux pourrait en retour aggraver les déséquilibres économiques et peser davantage sur les finances publiques. L’analyse des trajectoires budgétaires ne devrait pas se limiter au seul niveau de dette, mais considérer sa dynamique et les coûts implicites d’un statu quo.

Jonas Kaiser

Image : František Kupka, Amorpha, fugue à deux couleurs, 1912, huile sur toile, 211 x 200 cm. National Gallery de Prague.

A lire aussi :

Notes

[1] Les résultats se distinguent de la prévision de dette du Gouvernement, car ils reposent sur un autre modèle macroéconomique.

[2] Pour plus de détails, voir notre note « PLF et règles budgétaires européennes : un ajustement prématuré ? ».

[3] Les différences dans l’effort cumulé dans le Graphique 2 sont dues aux arrondis.

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